Touraine : alors qu'ils attendent un bébé, le mariage d'un Guinéen et d'une Française annulé, Aly est menacé d’expulsion

Aly Diawara est un jeune migrant arrivé en Touraine il y a 4 ans. En 2018, il rencontre Ingrid, avec qui c'est le coup de foudre. Leur mariage va se heurter à une annulation. Alors que sa compagne est enceinte, Aly est menacé d’être expulsé vers la Guinée, son pays d’origine.

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Ingrid et Aly sont un jeune couple qui rêve de se marier. Elle, 36 ans, est mère de trois enfants et est assistante de direction. Lui, 21 ans, est entraîneur bénévole au club de foot d’Amboise en Indre-et-Loire. Ils vivent ensemble depuis un an et demi et attendent un premier enfant.

Mais l'histoire d'amour s'est transformée en cauchemar. Aly est placé en centre de rétention depuis plus d’un mois et est menacé d’expulsion vers son pays d’origine, la Guinée qu’il a quittée après sa conversion au christianisme. Débouté du droit d'asile, le jeune homme s'est vu être assigné deux fois à résidence. Le couple accuse la mairie de leur commune de les avoir dénoncés pour une suspicion de mariage blanc.
 

Une histoire d'amour "classique"


Ingrid Berthet et Aly Diawara se rencontrent en juin 2018. "Une rencontre classique à la Guinguette de Tours, je dansais la salsa-bachata avec une amie", se rappelle Ingrid. "Il m’a tout de suite plu. Il m’a mis en confiance et ne m’a jamais menti sur sa situation de migrant. Cela a été très rassurant de voir qu’il a été, dès le départ, très honnête avec moi."

À cette époque, Aly est hébergé par des centres d’accueil ou par des amis depuis deux ans et demi. Ingrid, elle, a trois enfants de 9 ans, 12 ans et 17 ans, et les élève dans la commune de Nazelles-Négron. "Il était adorable avec mes enfants, je lui ai naturellement proposé de venir vivre avec nous assez rapidement."

  
Une première demande d’asile refusée, puis une deuxième. Aly cherche alors à se faire régulariser via un employeur. "Les procédures pour l’employeur était trop compliquées, ça n’a pas fonctionné", se désole Ingrid. "Notre vie de couple avance et nous décidons de nous marier." Le 9 mai 2019, Ingrid apporte leur dossier complet de mariage à la mairie de Nazelles-Négron. "Refus catégorique du dossier, sans prendre la peine de nous recevoir", témoigne la jeune femme.


"On m’annonce 48 heures avant le mariage que celui-ci est annulé"


Ingrid se tourne alors vers la commune où résident ses parents, Fondettes. "Le maire, Cédric Oliveira, nous connaît très bien et accepte notre demande. Nous posons une date de mariage en juin 2019… On m’annonce 48 heures avant le mariage que celui-ci est annulé." La raison selon le couple : le maire de Nazelles-Négron aurait fait un signalement de suspicion de mariage blanc à la mairie de Fondettes.

Catherine Lison-Croze, ancienne avocate pénaliste et vice-présidente du comité régional de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) nous partage son indignation : "La loi demande des indices sérieux laissant présumer que c’est un mariage blanc pour saisir la République, seule autorité légalement compétente pour en décider.​​​​​​ Sauf que le maire de Nazelles-Négron avait tout simplement refusé leur mariage sans même les rencontrer !"
 


"À aucun moment je n’ai refusé ce dossier"


De son côté, le maire de Nazelles-Négron conteste fermement cette version auprès de France 3 Centre-Val de Loire. "À aucun moment je n’ai refusé ce dossier", riposte Richard Chatellier ajoutant qu’il vit "un enfer depuis cette histoire", et est victime "d’accusations mensongères et diffamantes". Il s’explique : "le jour où Madame Berthet est venue à la mairie, j’étais absent. J’ai simplement fait savoir à mon collègue de Fondettes qu’un signalement de la gendarmerie nous avait été transmis vis-à-vis de la situation de Monsieur Diawara et que, dans ce contexte, je souhaitais recevoir le couple pour un entretien."

Ce signalement aurait eu lieu en mars 2019, après un "délit de fuite de Monsieur Diawala", assure le maire de Nazelles-Négron. "Dans le cadre d’un contrôle de gendarmerie classique, il a été constaté que Monsieur roulait avec un permis guinéen qui n’est pas valable en France. Menacé d’expulsion, j’imagine qu’il a pris peur, ce qui est compréhensible. Le problème, c’est qu’au moment où nous avons reçu ce dossier de mariage, nous étions au courant du délit de fuite et de sa situation irrégulière en France."
 

Une enquête sociale du procureur


Après ce signalement, le procureur de la République de Tours est saisi et ordonne une enquête sociale pour vérifier la fiabilité de leur histoire d’amour. Par ailleurs, le maire de Nazelles-Négron assure qu’un certain nombre de documents était nécessaire pour valider le mariage : "par exemple, les extraits de naissance de Monsieur stipulaient que celui-ci était né dans deux villes différentes en Guinée".

Le procureur ne s’oppose pas à leur union. Dans la foulée, le maire de Fondettes annonce être prêt à célébrer leur mariage le 22 février. Mais avant de recevoir les conclusions de l’enquête, Aly reçoit une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le 27 novembre, les policiers l’emmènent au centre de rétention de Rennes. Une situation qui inquiète sa compagne: 


Aly a vu certains de ses codétenus qui ont tenté de se suicider, d’autres y sont parvenus… Il doit faire face à tant de violence, lui qui est si calme et discret, et qui n’a jamais commis de délits ou de crimes ! Cela m’angoisse beaucoup pour lui. Il y a des jours où ça ne va vraiment pas, les larmes coulent toutes seules. - Ingrid Berthet, compagne d'Aly Diawara.


La goutte de trop, pour Ingrid, a eu lieu le 23 décembre. "La préfecture d’Indre-et-Loire a obtenu de l’ambassade de Guinée un laissez-passer, sans même qu’Ali soit entendu par son ambassade, pour un vol avec escorte le 2 janvier", se désole la vice-présidente de la LDH, Catherine Lison-Croze. Le jeune homme avait quitté son pays d’origine en 2015 après s’être reconverti au christianisme et avoir subi des violences et des menaces de la part de sa famille. "Il vivait dans un environnement dangereux, c’est pour cela qu’il a fui", poursuit la vice-présidente de la LDH.
 

"Il élève les enfants d'Ingrid comme si c'était les siens"


Cette dernière l’assure, Aly est pleinement intégré en Touraine : entraîneur bénévole de l’équipe senior de football d’Amboise depuis septembre 2019, il était joueur de l’équipe 1 de ce même club l’année dernière. "Il fait partie d’une association et a des tas d’amis. Il n’avait pas le droit de travailler mais était quand même bénévole : tous les éléments sont réunis en sa faveur. Il cherche à se construire, il n’est pas dangereux et il ne cesse de le répéter depuis qu’il est en rétention. Je peux vous le dire, il manque aux enfants d'Ingrid : il les élève comme si c’était les siens."

À ce jour, une pétition pour demander la réévaluation de la situation d’Aly rassemble plus de 35 600 signatures. "J’ai commencé la bataille toute seule et aujourd’hui, j’ai de nombreux soutiens à mes côtés", se réjouit sa compagne, Ingrid, qui espère voir son conjoint libéré rapidement.
 
"C’est la journée de la dernière chance"
Pour dénoncer l’expulsion de son conjoint, Ingrid Berthet a appelé au rassemblement, devant la préfecture d’Indre-et-Loire, ce mardi 31 décembre. Relayé par la section locale de Ligue des droits de l’homme, ce rassemblement a reçu le soutien du comité régional de la Ligue des Droits de l’Homme et d’autres associations et mouvements politiques (EELV37, Génération.s, le mouvement Ensemble ! 37, le PS 37, les Jeunes Insoumis 37, etc.) Le maire d’Amboise, le député de la deuxième circonscription, et certains conseillers municipaux de Nazelles-Négron ont également exprimé leur soutien à la situation d’Aly Diawara.

Ingrid Berthet et Catherine Lison-Croze de la LDH avaient obtenu un rendez-vous avec le directeur du cabinet de la préfecture dans la foulée. "Nous attendons la libération d’Ali et sa régularisation pour ne pas retourner dans ce cauchemar", nous avait livré Ingrid. "C'est la journée de la dernière chance."

Selon nos confrères de La Nouvelle République, l’expulsion d’Aly n’aurait pas eu lieu le 2 janvier comme annoncé, mais  la décision a été confirmée.

De son côté, le maire de Nazelles-Négron, Richard Chatellier, nous confie avoir fait une demande au président de la République, ce jeudi 2 janvier, via la messagerie en ligne de l’Elysée "pour faire un geste vis-à-vis de l’expulsion de Monsieur Diawara".
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